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Passionnée de culture geek depuis l’enfance, elle se voit offrir à 7 ans un ZX-81, machine pionnière de la micro-informatique… Développeuse indépendante, professeure de programmation, spécialiste en ergonomie, entrepreneuse, ex-directrice de la Web@cadémie et de la Coding Academy à Epitech, Sophie Viger a été nommée en octobre dernier par Xavier Niel à la direction générale de 42, école d’informatique gratuite, ouverte à tous et sans condition de diplôme.


Engagée sur les sujets sociaux et membre de nombreuses ONG, elle est notamment à l’origine de la première formation au développement informatique « Ambition Féminine » en 2016 constituée de 80% de femmes.


Partisane de la pédagogie par projets, Sophie Viger revient pour JAM sur ses ambitions pour 42 et partage son regard sur les velléités d’entreprendre de la jeune génération ainsi que sur la place des femmes dans le secteur du numérique.


Vous avez intégré l’Ecole 42 il y a trois mois, quelle est votre rôle, quels sont vos projets ?

Dès mon arrivée, Xavier Niel m’a donné carte blanche pour mener à bien ma mission et l’enrichir de quelques convictions fortes. Entourée d’une excellente équipe, mon ambition est de faire de 42 la plus grande école au monde de codeuses et codeurs bienveillants. Ce dernier mot n’est pas là par hasard : parallèlement aux compétences métiers des étudiants, nous voulons développer et mettre en avant des qualités recherchées par les entreprises aujourd’hui comme l’éthique, le sens critique, la créativité et l’empathie. Au niveau pédagogique, nous voulons renforcer l’apprentissage des « soft skills » considérées comme les compétences essentielles au XXIème siècle au-delà des savoirs académiques : créativité, bienveillance, capacités à travailler en équipe, capacités d’apprendre à apprendre… Sur l’aspect purement technique, nous voulons développer les branches sur l’intelligence artificielle, dev ops, data science, le créatif (image, son, vidéo...), la réalité augmentée/virtuelle...


A court terme, nous avons déjà la volonté de mieux accueillir nos étudiants et de favoriser la diversité. Aujourd’hui, l’école accueille 3 800 étudiants de 66 nationalités différentes. Un point essentiel est que 42 est une école gratuite ouverte sans distinction de diplôme ou de catégorie sociale. D’ailleurs, 40% de nos étudiants actuels n’ont pas le bac. Le coût de la vie étant important à Paris, nous avons lancé dans le cadre de « Réinventer Paris » la construction de bâtiments qui s’appelleront « NOC42 » (Not Only A Campus) et permettront de proposer entre 800 et 1 000 lits aux étudiants pour les dépanner à moindre coût. C’est un très beau projet. Nous allons également proposer des potagers en terrasse, des équipements sportifs, une salle de spectacle, une salle polyvalente, une épicerie solidaire… le tout en collaboration avec les associations du quartier qui pourront elles aussi profiter de ces infrastructures. Nous avons aussi le projet d’agrandir nos locaux actuels avec la construction de 5 nouveaux étages pour doubler le nombre d’étudiants d’ici 4 à 5 ans et créer de nouveaux espaces de travail…


Un autre grand chantier qui compte beaucoup pour moi : la féminisation de l’école. L’objectif est d’atteindre les 35% de femmes dès cet été, ce qui serait déjà phénoménal. Pour donner un ordre d’idée, nous avions 15% de femmes lors de la dernière épreuve de sélection. La plupart des écoles d’informatique, d’ingénieurs etc. oscillent entre 10% et 15%. Il y a une sorte de cap psychologique à 35%, en dessous duquel les femmes auront du mal à venir car elles peuvent se sentir illégitimes voire pas totalement en sécurité… A partir du moment où on passe le cap des 35%, ce n’est plus pareil. C’est pour cela que l’on se fixe cet objectif à compter de cet été. Cela passe par de nombreux leviers tels que des réunions d’information dites « check-in » qui servent de préambule à l’épreuve de sélection où 50% des places sont réservées aux femmes. Mais cela passe aussi par la communication externe, le processus de candidature, la création d’une association d’ambassadrices anciennes étudiantes qui se rendent dans les collèges et lycées, des partenariats avec Pôle Emploi... A terme, nous voulons simplement avoir un monde numérique – qui aujourd’hui compte 90% d’hommes - à l’image de la société.


Vous êtes justement à l’origine de la formation au développement informatique « ambition féminine » pour encourager les femmes à se lancer dans le numérique, quelles évolutions pour les femmes dans le secteur ?

Les intentions sont très positives mais la réalisation reste très déceptive. Des associations se créent et se saisissent du problème, le secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi s’exprime beaucoup sur le sujet et a créé la fondation Femmes@Numérique mais, malheureusement, trop peu de femmes rentrent dans ces métiers-là.


Il y a un élément qui serait déterminant : enseigner le code à l’école. Développer cet enseignement pourrait sans doute permettre de créer un socle d’égalité. Il faut aussi que le code sorte de sa sphère et accepter l’idée que le code n’est pas réservé aux « geeks » parce qu’il n’y a aucun rapport… Le code c’est l’humanité, et l’humanité est faite à partir de cette diversité. L’impact sur notre monde de demain est tellement important qu’il faut absolument qu’on remette de la diversité dans cet univers. Si on veut de l’innovation, il faut de la diversité.


On parle souvent de l’envie d’entreprendre chez les français et particulièrement les jeunes. Au-delà d’une mode ou de ce que l’on peut lire dans la presse, remarquez-vous chez vos étudiants cette volonté de devenir leur propre patron ?

C’est tout à fait réel, nous avons d’ailleurs deux associations qui s’appellent 42Entrepreneurs et 42Genesys qui les accompagnent sur ces sujets (entrepreneuriat, junior entreprise…), ainsi qu’un programme avec l’association MATRICE que nous proposons avec d’autres écoles (42, HEC, Dauphine, écoles de finance…). Concrètement, les étudiants vont répondre à des problématiques sociétales qui peuvent être portées par des acteurs institutionnels tels que le Ministère du Travail ou des structures privées comme les laboratoires Roche. Les étudiants vont se constituer en équipe et répondre ensemble à la problématique portée par l’entreprise.


Un point important est que le digital a décuplé et facilité le désir de lancer son activité. Avant cela, c’était beaucoup plus compliqué… Qui disait création d’une activité ou d’une entreprise disait stock, locaux… Désormais, le digital rend cela beaucoup plus simple et plus rapide. Au-delà de cette phase de lancement, pour celles et ceux qui souhaitent tenter leur chance, l’apprentissage des softs skills est aussi un atout pour les futur(e)s entrepreneur(e)s.

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