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Entretien avec Olivier Ezratty, ancien de Sogitec et ex-Directeur Marketing et Communication de Microsoft. Il conseille depuis 2005 les entreprises, en France et à l’international, dans l’élaboration de leurs stratégies d’innovation (veille technologique, stratégies produits, création d’écosystèmes).

Expert reconnu de l'écosystème Tech, conférencier et auteur, il publie notamment sur son blog Opinions Libres le Guide des Startups en France, véritable bible pour les futurs entrepreneurs

et depuis 2006, le rapport annuel de référence du CES de Las Vegas. Parmi ses thématiques de prédilection, l’univers des deep techs avec l’intelligence artificielle, les objets connectés,

les biotechnologies et l’informatique quantique.


Tout le monde parle d’innovation, de digitalisation, de transformation…

Pour vous, où en sont les entreprises en France ?

O. Ezratty. La transformation digitale est un oxymore utilisé à tort et à travers. Elle recouvre aussi bien l’adoption des technologies, les pratiques managériales, la relation à l’information, la relation client, les notions d’écosystème, de plateforme et de partenariat. Il est impossible de la résumer à une simple définition. Si on s’intéresse à ce sujet d’un point de vue purement factuel et objectif, la France a rarement été dans les premiers pays à adopter les nouvelles technologies pour les usages-métiers. Cela a commencé avec la messagerie il y a une vingtaine d’années, ensuite il y a eu l’adoption d’internet, puis du commerce en ligne, du mobile et enfin des réseaux sociaux.

Il y a 20 ans chez Microsoft, on réalisait le retard pris par les entreprises françaises par rapport à leurs consœurs anglo-saxonnes notamment. Les études comme les rapports de l’OCDE ou de l’Union Européenne illustrent encore et toujours ce phénomène aujourd’hui. Cela concerne moins les grandes entreprises, surtout celles qui font du BtoC et qui ont dû passer rapidement au numérique sous peine de disparaître. Obligés de communiquer avec leurs clients à l’échelle mondiale, les grands groupes ou ETI internationales bénéficient d’un vent favorable pour l’adoption d’outils numériques.   

Il y a quelques anecdotes sur ce sujet, comme par exemple les professions libérales qui, parfois, ne comprennent pas que les clients souhaitent prendre rendez-vous en ligne. Il y a aussi des entreprises - y compris des startups censées être l’incarnation de la modernité - qui ne mettent parfois pas la biographie de leur dirigeant en ligne, voire même leur adresse.

Bien souvent, le blocage provient du Top management. La culture d’entreprise vient des dirigeants, qui font preuve ou pas d’exemplarité et mettent ensuite l’entreprise au diapason par effet de mimétisme. Dès lors qu’il y a un blocage « en haut », cela se traduit dans l’utilisation des outils numériques : parfois par une sous-utilisation (pas de communication, pas de collaboration…), parfois par une surutilisation artificielle de compensation (les mails en copie de différentes strates de management).

Il faut trouver le bon point d’équilibre entre une communication positive, de l’optimisme et une transparence sincère. Il y a au fond un lien évident entre la technologie, la culture, la communication et le management. Tout est lié et mérite une approche globale qui n’est pas sans rapport avec la sincérité. C’est selon moi la condition d’une mise au diapason de l’ensemble, gage d’efficacité.


Dans quelle mesure les indépendants peuvent-ils permettre aux entreprises de créer un écosystème d’innovation ?

O. Ezratty. Tout dépend de la lucidité de l’organisation sur son état des lieux et la valeur-ajoutée de l’indépendant. La force de l’indépendant est avant tout directement liée à la diversité de ses mises en situation. Plus son expérience est riche et diversifiée, mieux son expertise profite à ses clients.

Mon expertise actuelle en tant qu’indépendant est aujourd’hui dix fois supérieure à celle que j’avais lorsque j’étais cadre-supérieur chez Microsoft et membre du Comex. Tout simplement parce que je ne passe plus les deux tiers de mon temps dans des réunions internes. Je l’utilise de manière plus optimale en multipliant les expériences, les missions et les situations. Je rencontre des entreprises de toute taille et de tous les secteurs ainsi que d’autres experts, bref j’enrichis les compétences que je propose aux entreprises et celles que je partage aussi sur mon blog.

Au-delà, l’indépendant doit apprendre à se « marketer » pour aider les entreprises à mieux identifier les ressources dont elles peuvent avoir besoin. Nombre d’experts en transformation digitale peinent à expliciter leur différence. On se retrouve parfois avec une offre pléthorique d’indépendants dans certains secteurs comme dans le marketing ou la communication. Faire des listes à la Prévert ou rester vague ne sont pas efficaces. Il faut mettre en avant ses points forts, avoir un « véhicule de communication ».  

Une des clés de la réussite est selon moi la structuration et la formalisation de son offre,

de sa méthode, de son expertise. Il faut tout d’abord segmenter ses cibles (les PME, les grands groupes…) et choisir un domaine où on est « bon » et où il y a de la demande. Il est aussi utile de publier et partager ses connaissances et idées largement via les réseaux sociaux, son propre blog des tribunes dans les médias et dans la prise de parole dans des événements.

Si on se force à formaliser les domaines où on pense qu’on a une valeur ajoutée, cela attire mécaniquement des clients, des acteurs du secteur ce qui renforce ensuite les compétences.

L’écrit est aussi le préalable à la maîtrise de l’oral. La formalisation par l’écrit aide à structurer ses idées et à améliorer la pédagogie. Par ailleurs, l’écrit se diffuse facilement. Il travaille pour vous quand vous faites autre chose ! Il en va de même de vos interventions si elles sont captées en vidéo et ensuite partagées sur Internet.


Quel est pour vous l’impact majeur des nouvelles technologies sur le monde du travail ? Comment voyez-vous l’avenir ?

O. Ezratty. Les technologies ont radicalement et régulièrement tout changé.

Et notamment notre relation au temps et notre manière de s’organiser. J’ai observé par le passé une certaine tendance à se cacher derrière les technologies pour par exemple envoyer un email

à quelqu’un assis juste à côté au lieu de simplement parler. Je me méfie des outils qui structurent trop l’organisation du travail, qui nécessitent de suivre des process trop complexes et surtout qui servent de remplacement à des relations humaines et du face to face. Les process et les outils doivent soulager les collaborateurs pour qu’ils se concentrent sur la valeur ajoutée. Les outils numériques ne doivent pas remplacer l’intelligence. Le canal ne doit pas avoir plus d’importance que l’information.

En revanche, cela va dans le bon sens quand cela fluidifie les échanges comme l’organisation de réunions à distance, favorise le partage de l’information et de documents rapidement ou la coopération à distance. Tout cela est permis par Internet et il faut l’utiliser, car c’est merveilleux. On l’apprécie encore plus lorsque l’on a connu les méthodes de travail pré-Internet !


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